L’auto-stigmatisation

2024

L’étude INDIGO a, entre autres, eu l’immense mérite de révéler que de nombreux malades étaient en mesure d’adopter des conduites d’évitement pour se préserver du rejet dont ils pensaient pouvoir être victimes. L’originalité de la discrimination anticipée (s’empêcher de chercher un emploi – de rechercher une relation) est importante et plus fréquente que la discrimination réellement expérimentée dans ces domaines. Ainsi plus de la moitié des participants qui ont anticipé une discrimination n’avait jamais réellement expérimentée un rejet dans une situation similaire.

Ces conduites d’évitement (stigmatisation anticipée) ont inauguré une série de recherches concernant l’auto stigmatisation.

Ainsi, on distingue 2 types de stigmatisation : la stigmatisation publique (individuelle et structurelle ou institutionnelle) et l’auto stigmatisation ou stigmatisation internalisée (cf. official journal of WPA).

L’auto stigmatisation repose sur des croyances négatives sur soi-même qui suscitent une faible estime de soi et qui amènent la personne à se limiter dans des activités importantes pour elle-même.

Pourquoi s’intéresser à l’auto stigmatisation ?

De nombreuses études (qui témoignent de l’intérêt scientifique grandissant pour ce phénomène) montrent que la capacité à contourner l’internalisation de la stigmatisation permet à la personne d’éviter de s’engluer dans une identité de malade mental et constitue en ce sens une dimension principale du processus de rétablissement.

De fait il apparait que l’échec à réaliser des buts, le plus souvent, n’est pas due à la maladie mentale elle-même, mais à cette auto stigmatisation de sorte qu’aider ou encourager les personnes à reconnaître leur maladie mentale est bien moins important que de les aider à surmonter leurs stigmates auto attribués ou publics.

Ces dernières années de nombreux travaux ont concerné la connaissance et la compréhension de l’auto stigmatisation.

Dubreucq et Franck à partir d’une revue de la littérature portant sur 272 articles et comparant les prévalences et conséquences selon les zones géographiques et les cultures confirment l’existence universelle de la stigmatisation mais évoque un plus fort impact de l’auto-stigmatisation en Asie du sud-est et au moyen orient.

Le processus d’auto stigmatisation évolue en 3 temps :

  • La personne a connaissance des principaux stéréotypes associés aux maladies mentales. Non seulement elle les connait mais elle les approuve et lorsque, elle-même reçoit un diagnostic de maladie mentale, elle va les intérioriser et se les appliquer (endorsement). Elle s’approprie les clichés et préjugés culturels qui sont véhiculés par le corp social au sujet de l’ensemble des malades mentaux (incompétence, inintelligence, fainéantise, imprévisibilité, incurabilité, violence, dangerosité). En même temps la personne se conforte dans l’idée que sa maladie est un signe de faiblesse de caractère et ressent une baisse de l’estime de soi et perd toute motivation pour rechercher de l’aide et pour solliciter des soins.
  • Dans un deuxième temps la personne passe de la situation d’ « avoir une maladie » à celle d’ « être un malade » et va se comporter et agir en conséquence.
  • Enfin, elle va être amenée à anticiper les situations à risque de discrimination et va se limiter dans ses interactions sociales pour se protéger (évitement, inhibition).

Corrigan et Watson ont identifié 4 dimensions : l’acceptation, marquée par la prise de conscience, l’approbation et l’application à soi des stéréotypes, amenant à la situation d’avoir une maladie à celle d’être un malade ; la juste colère (révolte vis-à-vis des préjugés péjoratifs) ; la démission (résignation face aux discriminations, renoncement, anticipation de l’échec) ; le dévoilement circonstancié (dissimulation de la maladie, réticence à parler de ses troubles).

Les conséquences de l’auto-stigmatisation sont nombreuses et impactent gravement la qualité de vie des personnes concernée :

Livingston et Boyd (2010) ont produit un vaste corpus de recherches sur les expériences et conséquences néfastes de la stigmatisation intériorisée après une revue exhaustive d’articles publiés en anglais (127 articles), puis à partir d’une méta-analyse de 45 articles. De même, Park (2013) a identifié de nombreuses attitudes dysfonctionnelles en lien avec la stigmatisation internalisée : isolement social, attitudes de retrait et d’inhibition, difficultés à obtenir un logement, un emploi, tendance à l’auto dénigrement, vécue de honte et de culpabilité, attente permanente à être mis à l’écart et rejetée par la société, perte de confiance, de motivation et d’espoir de guérison, baisse de l’auto efficacité et renoncement à prendre un rôle actif dans la société (concept du « why try effect - pourquoi essayer ? » ).

L’institut de santé publique du Québec signale en 2008 que les préjugés entourant la maladie mentale incitaient près de 2/3 des personnes atteintes à ne pas rechercher l’aide dont elles avaient tant besoin et, la même année, la commission de la santé mentale du Canada publiait une enquête qui montrait que la moitié des psychiatres interrogés déclaraient qu’ils se traiteraient eux-mêmes, en secret, plutôt que d’avoir une maladie mentale inscrite sur leur dossier médical.

De nombreux travaux se sont attachés à mettre en évidence les corrélations entre auto stigmatisation et les différents aspects cliniques et évolutifs des problèmes psychiques des personnes concernées par une maladie mentale.

On retient de ces études une association négative entre auto stigmatisation et : estime de soi, espoir, sentiment d’auto efficacité, fonctionnement social, adhésion au traitement, qualité de vie, autonomisation et rétablissement. Par ailleurs on observe une association positive entre auto stigmatisation et symptomatologie psychotique négative, dépression, Insight et risque suicidaire.

Date de modification : 28 mars 2024

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