La résistance à l’auto-stigmatisation
Un autre aspect des recherches a consisté à identifier d’éventuels facteurs de résistance à l’auto stigmatisation.
En effet, si les individus souffrant de troubles mentaux connaissaient, bien avant leur maladie, les stéréotypes associés au groupe auquel ils sont maintenant assimilés, cela n’implique pas forcément leur adhésion à ces stéréotypes et l’intériorisation de ces derniers.
Être au courant ne signifie pas partager, approuver, intérioriser et s’appliquer.
L’auto stigmatisation se développe en trois étapes :
- L’acquiescement aux stéréotypes (stéréotype agréement).
- L’application à soi des stéréotypes (Self concurrence).
- Diminution de l’estime de soi (self esteem décrément).
Face à ce phénomène, trois types de réactions sont envisageables :
- Ceux qui ne s’identifient pas au groupe stigmatisé. Ils apparaissent peu affectés voire sont indifférents parce qu’ils ne se sentent pas concernés par la stigmatisation.
- Ceux qui s’identifient au groupe stigmatisé et qui vont être particulièrement sensibles à la stigmatisation avec un fort risque d’auto stigmatisation. Ils considèrent que les stéréotypes sont justifiés et connaissent habituellement une baisse de l’estime de soi.
- Certains, au contraire, perçoivent les stéréotypes comme illégitimes. Il s’agit, pour eux, de représentations inappropriées auxquelles ils vont réagir par un sentiment de colère (« juste colère » ou « colère constructive »).
L’étude GAMIAN (E. Brohan-2010) montre, dans une recherche ayant inclue 1229 personnes, que si environ 70 % des personnes qui présentent un trouble psychique de l’ordre de la schizophrénie, se sentent victimes de discrimination, seulement 42 % d’entre elles souffrent d’auto stigmatisation. Une étude similaire pratiquée auprès de personnes atteintes de bipolarité montre que le phénomène d’auto-stigmatisation ne concerne que 21,7% d’entre elles.
Ce constat, d’une majorité de patients qui ne sont pas victimes d’auto stigmatisation, supposent l’existence de facteurs de résistance à ce processus, et par conséquent, chez certains, d’un déficit en facteurs de résistance. Des études en cours ont pour objet d’identifier des marqueurs de ce déficit et tout particulièrement dans le domaine des fonctions cognitives (attention, fonctions cognitives, vitesse de traitement de l’information etc…)
Une étude, issue de la cohorte REHABase montre que le pourcentage de malades psychiques présentant un niveau modéré ou élevé d’auto stigmatisation est de 41,7% pour la schizophrénie, de 21,7% pour le trouble bipolaire, de 43,8% pour les borderline, de 22,2% pour l’autisme. Cette recherche confirme que plus le degré de résistance à la stigmatisation est élevé chez les personnes présentant un trouble psychique sévère et persistant et meilleurs seront les scores de qualité de vie, d’estime de soi et de bien-être. Ainsi la capacité à ne pas se laisser envahir par les préjugés stigmatisants constitue un facteur de protection pour les personnes concernées.
Ce concept de résistance a donné lieu à de nombreuses recherches :
Sibitz (2011) fait un rapprochement entre ce phénomène et la notion de résilience.
Nabord (2014) insiste sur l’importance de la théorie de l’esprit (capacité à appréhender l’intentionnalité de l’autre) en précisant que le fait de reconnaître les processus mentaux d’autrui comme subjectifs et faillibles permet de mieux gérer les schémas d’attribution dont la personne fait l’objet.
Campellone (2014) note que le pouvoir social (capacité à contrôler ou influencer une autre personne) est associé à une moindre auto stigmatisation.
Lien (2015) insiste sur l’importance du niveau d’anxiété et sur la dimension dépressive.
Enfin une nouvelle voie de recherche est marquée par la prise en compte et l’impact des troubles cognitifs dans le processus d’auto-stigmatisation (troubles attentionnels – fonctions exécutives- vitesse de traitement de l’information – difficultés à interpréter et à répondre à des situations sociales complexes).
Dans sa recherche sur la capacité à résister à l’auto stigmatisation, Firmin (2017) souligne l’importance de l’interaction entre métacognition (capacité de la personne à former une représentation intégrée de soi, des autres, du monde, ce qui permet de se concentrer sur ses propres objectifs) et la peur d’une évaluation négative des autres. Au terme de sa recherche, il conclue : « les résultats suggèrent que la métacognition et la peur de l’évaluation négative sont des voies importantes et interactives qui influencent la façon dont les individus traitent et répondent à la stigmatisation ».
Ainsi, pour cet auteur, le constat de ce modèle de résistance à l’auto stigmatisation justifie l’utilisation de thérapeutiques spécifiques.
Articles
- GOMEZ Sarah, Validation française d’une échelle de résistance à la stigmatisation - French Journal of Psychiatry Volume 1, Supplement 2, December 2019, Page S113
- GOMEZ Sarah, Validation française de la Stigma Resistance Scale, échelle de résistance à la stigmatisation auprès de personnes souffrant de troubles psychotiques
- FIRMIN Ruth, LYSAKER Paul, et al., Stigma Resistance is Positively Associated with Psychiatric and Psychosocial Outcomes: 1 A Meta-analysis, 2016
Date de modification : 27 septembre 2024