La stigmatisation par association (courtesy stigma)

Alors que la plupart des études se sont concentrées sur la situation de ceux qui subissent directement la stigmatisation, Goffman, dès 1963, a suggéré que cette stigmatisation pouvait affecter également ceux qui leur sont étroitement associés : Il conçoit que : « Les problèmes rencontrés par les personnes stigmatisées se propagent par vagues d’intensité décroissante parmi ceux avec qui elles entrent en contact ». Ainsi il apparait que le phénomène de stigmatisation peut impacter sérieusement les familles de personnes directement concernées par une maladie psychiatrique.

La stigmatisation des proches de la personne malade, traduit la désapprobation par le corps social, de l’entourage des personnes stigmatisées, en raison de leur proximité avec elles. Ainsi, la famille, les amis et les personnes proches peuvent subir l’impact de cette forme de stigmatisation.

Ce phénomène a fait l’objet de dénominations diverses :

« Stigmatisation de courtoisie » (courtesy stigma) pour Goffman, « stigmatisation d’association » pour Mehta et Farina, « stigmatisation par association » pour Angermeyer, « stigmatisation secondaire » pour Milne, « stigmatisation familiale » pour Kreisman, Park, Werner.

Cependant, on constate qu’au-delà de ces diverses appellations, peu de recherches ont été menées sur cet aspect dans le champ de la santé mentale, sur la façon dont les proches perçoivent et vivent cette stigmatisation et sur la façon dont ils peuvent lutter contre cette stigmatisation.

L’étude de la littérature ne rapporte que quelques travaux traitant de la « Stigmatisation par association » vécue par les membres des familles dont les proches sont affectés par une maladie psychique ou par un handicap cognitif voire par une pathologie VIH.

Une recherche sur la base de données en ligne PubMed conduite le 27 février 2024 a rendu 103 résultats avec la requête suivante : courtesy stigma ou familial stigma ou stigma by association ou secondary stigma ou affiliation stigma et mental Heath ou mental illness. 22 articles étaient plus spécifiquement liés à l’autisme, 13 à la schizophrénie, 12 à un abus de substance ou à une séropositivité VIH, 11 à la démence, 11 au Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité, 4 au COVID-19.

Les études portant sur les parents d’enfants handicapés mentaux, par exemple, mettent en évidence la façon dont «la stigmatisation par association », contribue à des actions sociales négatives ou à l’inhibition d’actions parce que les parents peuvent percevoir un jugement ou un blâme à l’égard du handicap ou du comportement de leur enfant ou de la manière dont ils s’occupent de lui.

De fait, il apparait que la stigmatisation familiale est extrêmement fréquente. Elle affecte généralement les parents, les frères et les sœurs, les conjoints, les enfants et les autres membres de la famille de la personne souffrant d’un trouble psychique.

Ainsi la « stigmatisation par association » met à rude épreuve la relation entre la personne directement concernée par un problème de santé mentale et les membres de sa famille, ce qui peut au final affecter leur capacité de soutien (Green 2004).

Dans ce contexte, le malade peut être vécu comme un fardeau encore plus lourd jusqu’à être une source de honte.

De même en ce qui concerne les problèmes de santé mentale, un petit nombre d’études sociologiques ont montré comment la « stigmatisation par association » limitait le soutien social et les opportunités sociales disponibles pour les membres de la famille.

Il semble que les stéréotypes varient selon le lien avec la personne concernée par le trouble psychique : responsabilité de l’apparition de la maladie pour les parents, récurrence des troubles psychiques pour le conjoint ou les proches vivant sous le même toit, hérédité des troubles se manifestant chez les enfants (contamination).

Corrigan et Miller (2004) insistent sur le fait que les récits de blâme ou de contamination contribuent fortement à la « stigmatisation par association ».

Les récits de blâme suggèrent que les proches de personnes stigmatisées sont coupables ou responsables des implications sociales négatives de la stigmatisation. Les membres de la famille peuvent ressentir un sentiment de honte car dans la population générale il existe souvent l’idée que la famille, et plus souvent encore les parents, sont la cause de la maladie mentale de leurs proches. Ce sentiment de honte peut-être à l’origine de fréquentes conduites d’évitement et de renoncement de la part des membres de la famille.

Les récits de contamination, pour leur part, suggèrent que les proches des personnes stigmatisées sont susceptibles d’avoir les mêmes attributs, les mêmes valeurs voire des comportements similaires à ceux de la personne malade.

Notons que l’entourage des personnes directement concernées par un trouble psychique est souvent pleinement conscient de cette stigmatisation par association d’autant que cette stigmatisation de l’entourage peut conduire à l’exposition à des remarques péjoratives sur leurs proches (sentiment que les autres les jugent, voire les blâment) et un changement dans l’attitude de leurs interlocuteurs qui peut aller jusqu’à un possible rejet social.

De multiples effets négatifs pour les familles ont été rapportés : sentiment de honte, sensation d’une augmentation du fardeau, dévalorisation, déni, désengagement, évitement des contacts sociaux et fréquemment un niveau plus élevé d’émotions exprimées dont on connaît le rôle favorisant les rechutes et les ré-hospitalisations.

Pour les fratries, au-delà du risque d’isolement social, de l’anxiété et du stress ou encore d’une réduction de la disponibilité au soutien social et d’une mobilisation des ressources disponible, il est rapporté un effet négatif sur la formation de l’identité personnelle.

De plus, il apparait que ce phénomène est fortement majoré dans des situations de handicap non apparent (invisible) dans la mesure ou l’entourage de la famille peut mal interpréter les comportements, en raison de son incompréhension de la maladie. Ainsi des expériences de stigmatisation vécue, expérimentée ou ressentie voire anticipée sont très fréquemment rapportées par les familles dans des contextes d’interactions sociales.

Enfin, on observe que les parents sont très fréquemment confrontés à une double contrainte :

Faire face aux attentes externes (répondre aux attentes de la société dans un contexte culturel particulier) et en même temps, assurer leurs responsabilités vis à vis de leurs familles, ce qui génère de nombreuses exigences stressantes.

Il convient d’évoquer encore la fréquence de ce type de vécue et de ressentie dans les interactions avec les professionnels de santé et tout particulièrement de santé mentale. Ainsi la psychiatrie a fréquemment été identifiée comme une source importante de stigmatisation. De fait, les contacts avec des professionnels de santé mentale ont souvent été considérés dans la littérature comme plus important que la stigmatisation dans le domaine de l’emploi ou par les médias.

Environ un quart des expériences de stigmatisation rapportée par les malades et leurs familles fait référence à des interactions entre eux-mêmes et les professionnels de santé mentale (Schulze 2007).

Les situations de stigmatisation des professionnels de santé mentale au sein de la communauté des acteurs de santé ont fait l’objet de nombreuses études depuis le début des années 90. Par contre, peu d’études ont exploré les attitudes des professionnels de santé mentale vis-à-vis des familles.

Il apparaît que dans les rapports entre familles et professionnelles de santé, la stigmatisation s’exprime dans deux domaines particuliers : les interactions personnelles et la discrimination structurelle dans le dispositif de soins.

Dans le premier cas les attitudes négatives se traduisent par la mise à distance, l’exclusion voire certaines formes de questionnement.

Les familles peuvent avoir le sentiment que l’on ne s’intéresse pas à leurs besoins, à leurs connaissances, à leurs ressources. Elles ont le sentiment que les professionnels utilisent volontairement un jargon médical pour établir une barrière et ne partagent que peu d’informations avec elles. Elles disent ressentir parfois les professionnels comme arrogants et intolérants, ce qui créerait un sentiment de culpabilité et d’incompréhension.

Pour Kapur (2014) : «les questionnements des professionnels de santé mentale sur la biographie familiale et les expériences d’enfance des malades schizophrènes étaient vécues comme des expériences de stigmatisation par les familles».

La stigmatisation structurelle, quant à elle, génère un ressenti d’obstacle entre les familles et les professionnels de santé mentale avec, en corolaire, un sentiment de solitude. Boden (2016), pour sa part, conçoit le « secret médical » comme un outil d’exclusion et de discrimination en raison de la distance qu’il établit entre professionnels et familles.

Nous avons récemment menée une recherche visant à objectiver et analyser ce phénomène de « stigmatisation par association » en associant notre étude au baromètre que l’UNAFAM élabore chaque année auprès de l’ensemble de ses adhérents.

Ainsi, un questionnaire comportant une échelle de mesure de la stigmatisation des familles de malades psychiques (échelle de King adaptée) a pu être mise en ligne et a permis de recueillir 3650 réponses. 

(Voir étude STAF en cliquant ici). 

Date de modification : 24 septembre 2024

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